Les tenir en respect tente de faire le jour dans cet étrange arrangement où l’amour, la paternité, la honte, la réputation, la liberté deviennent des enjeux complexes qui, parce qu’ils ne font pas nécessairement bon ménage dans la France rurale des années 50, obligent chacun à « tenir sa place ».
A tenir sa place mais aussi à « tenir en respect » l’autre, les ragots, les jugements. Grâce à une écriture paisible, délicate et scrupuleuse, où les sensations retrouvées, les souvenirs dépliés et les réflexions éprouvées se succèdent pour rendre au mieux la singularité de cette expérience aussi fondatrice que perturbante, Elisabeth Guimard fait de son témoignage une enquête intérieure qui rappelle par certains côtés le travail d’Annie Ernaux, et qui, parce qu’elle évite le pathos, nous entraîne sur une voie poétique qui est aussi une forme de salut par l’écriture.
La force de ce témoignage vient sans doute de l’écriture, à la fois sèche et incisive, que privilégie l’auteure : les paragraphes se succèdent, très courts, comme autant de flèches destinées à dégonfler le passé – devenu, au fil du temps, une baudruche encombrante et inquiétante – pour mieux se réconcilier avec. Une fascinante plongée dans la psyché féminine, celle de l’auteure, bien sûr, mais aussi celle de sa mère.
Les tenir en respect est une jolie lecture qui pourra en dérouter certains mais qui a permis à son autrice de se libérer, enfin, de ce secret.
Avec ce livre intime qui retrace une expérience aussi fondatrice que perturbante : celui dont elle croyait qu’il était son père ne l’était pas. Élisabeth Guimard brise la « loi du silence » avec sincérité, par une écriture scrupuleuse et apaisante.
Si la rancœur n’est pas absente de cette histoire douloureuse servie par une écriture délicate, on y trouvera aussi la tendresse et l’espérance qui aident à aller toujours plus loin…
Plutôt qu’un récit, c’est une odyssée, un chant, entonné en empruntant le sillage laissé par sa génitrice dans sa maison bientôt à vendre et qui se mire encore dans la vallée. Pas un règlement de comptes, mais sur le mode de la scansion, l’autrice chante en effet, crie parfois, finit par fredonner, et enfin vraiment parler à la disparue, évoquer son père spirituel, et « l’Autre », son géniteur, le double jeu de sa mère oscillant entre labeur, labour et amour. Au milieu des ragots est née d’un désir une fille, vieille aujourd’hui, qui rompt la promesse, brise le silence, et se libère enfin.
Décharner les chapitres, marteler des phrases couperets dans une nudité brute revient donc pour celle qui se sert des mots comme d’une aiguille, à les réconcilier avec ce qu’ils désignent. Ravauder les accrocs d’une terminologie béante en aplatissant les faits – en faire une pâte molle, disponible, implacable. Des blocs aussi secs que magnifiques, afin de dire à sa mère une existence qui s’est affirmée « contre (s)on gré« .
Avec cet ouvrage, Élisabeth Guimard entre par la grande porte de la littérature. […] Un livre que l’on ne quittera pas sans y revenir, rien que pour le plaisir de retrouver ces œillets sauvages des prairies où se plaisent les regards, et le fier cantonnier allumant chaque matin le poêle des deux classes de l’école communale.