Traduit du japonais par Alain Colas & Yuriko Kaneda
C’est dans le quartier de Kabukicho, à Tokyo, que vivent les personnages de Terayama. Loin du zen d’un Tokyo propre et traditionnel de la littérature japonaise classique, l’univers de Terayama est celui de la fureur, de la saturation, de l’interlope, du crime, des corps crasseux, de la transgression déguisée en norme sociale.
Dans Devant mes yeux le désert, son seul livre jamais traduit en français au début des années 1970, l’éclat des néons du quartier rouge de Kabukicho jette une lumière crue sur des héros qui apparaissent dans leur nudité, leur nullité : garçon coiffeur bègue qui cherche dans la boxe une rédemption, salarymen s’adonnant au plaisir solitaire dans les cinémas érotiques de la capitale japonaise, prostituées exsangues aux mains des yakuzas. Tous obéissent à la nécessité de vivre dans le paysage chaotique d’une ville anarchique, dans ce désert de pierre où se multiplient pourtant les marques d’une civilisation profonde. Ici, l’obscénité est moins obscène que la souffrance et l’injustice.
« En écrivant, j’ai voulu vérifier le pouvoir qu’ont les mots du quotidien, les mots du langage le plus éculé, déboucher sur la métaphysique. Par un collage de fragments de chansons populaires, de termes sportifs, de dialectes, de citations romanesques ou poétiques, il me semblait possible d’entrevoir un autre monde. C’est un roman de la rue, de ses labyrinthes et ses ruelles interdites. »